Deux étoiles géantes s’embrassent avant leur fin tragique

Elle porte un nom inquiétant, la nébuleuse de la Tarentule. Située dans le Grand Nuage de Magellan, une galaxie naine distante de 160 000 années-lumière, c’est une pouponnière de monstres stellaires, une zone où naissent et meurent des géantes bleues qui, entre les deux, prennent à peine le temps d’exister car, contrairement à ce que l’on pourrait intuitivement penser, plus une étoile est massive et contient de carburant pour ses réactions thermonucléaires, plus vite elle le consomme et le consume. Une géante bleue brûle littéralement la vie par les deux bouts. En quelques millions ou dizaines de millions d’années, la voici explosée en supernova. A titre de comparaison, notre bon vieux Soleil compte déjà plus de 4,5 milliards de bougies sur son gâteau d’anniversaire et les astrophysiciens estiment qu’il est à peu près au milieu de sa vie.

Parue le 13 octobre dans The Astrophysical Journal, une étude internationale s’intéresse non pas à une des géantes bleues de la nébuleuse de la Tarentule, mais à deux d’entre elles qui vivent en quelque sorte en couple. Les étoiles binaires sont chose commune au firmament, mais celle-ci, nommée VFTS 352, présente une particularité qui a attiré l’attention des astronomes auteurs de cet article, lesquels l’ont observée pendant dix-huit mois à l’aide du Very Large Telescope de l’Observatoire européen austral (ESO), installé au Chili : ses deux composantes sont proches. Très proches. Si proches qu’elles font le tour l’une de l’autre en à peine plus d’un jour.

Selon les estimations des chercheurs, les centres des deux étoiles sont séparés de 12 millions de kilomètres. Cela pourrait sembler une distance respectable si les deux astres en question étaient des jumeaux de notre Soleil dont le rayon avoisine les 700 000 km. Mais notre étoile, tout énorme qu’elle paraisse, est une naine jaune et non pas une géante bleue. Les deux membres de VFTS 352 sont des colosses stellaires qui se ressemblent beaucoup : une température de plus de 40 000°C règne à leur surface (contre 5 500°C pour le Soleil) et la masse de chacun équivaut à plus de 28 fois celle de notre astre du jour. Quand on parle de géante, ce ne sont pas que des mots…

Dans ces conditions, les 12 millions de kilomètres ne sont plus qu’une broutille. D’après les astrophysiciens, les deux étoiles sont rapprochées au point qu’elles se touchent, qu’elles se donnent un baiser. Il s’agit donc de ce que les spécialistes nomment une binaire en contact, dont, jusqu’à présent, on ne connaissait que trois exemplaires dans la catégorie des géantes bleues. Et VFTS 352 est désormais la plus massive de la liste. L’analyse des données recueillies par le VLT a montré que, à travers la zone de contact, les deux étoiles avaient mutualisé une fraction conséquente de leur matière, environ 30 %. Il faudrait donc sans doute, plutôt que d’évoquer deux amants qui s’embrassent, dresser une comparaison avec des siamois. Ainsi que l’explique Leonardo Almeida (université de São Paulo), premier auteur de l’étude, « VFTS 352 constitue à ce jour le système d’étoiles doubles chaudes et massives le plus abouti en termes de mélange interne. A ce titre, il s’agit d’une découverte à la fois importante et fascinante. »

Sachant que, à l’échelle des âges astronomique, les géantes bleues sont en quelque sorte des éphémères stellaires, les auteurs de l’étude expliquent que le temps de VFTS 352 lui est compté et se demandent quel sort l’attend. Deux scénarios sont possibles et, dans les deux cas, l’issue sera aussi tragique que spectaculaire. Le premier évoque une fusion entre le duo d’astres, qui créerait une très grosse étoile en rotation rapide sur elle-même, laquelle aurait de bonnes chances de terminer son existence dans un des cataclysmes les plus énergétiques recensés par l’astrophysique, un sursaut gamma de longue durée. Le second scénario n’est pas non plus sans éclat et on laissera une des co-signataires de l’étude, Selma de Mink (université d’Amsterdam), le décrire : « Si le mélange des deux intérieurs stellaires s’avère suffisant, l’une et l’autre étoiles demeureront compactes et le système VFTS 352 devrait échapper à la fusion. Les deux composantes devraient achever leur existence en explosions de supernovae puis évoluer vers un système binaire de trous noirs rapprochés. » Après avoir fait partie des objets les plus brillants de la nébuleuse de la Tarentule, les deux géantes bleues passeraient ainsi de la lumière aux ténèbres, de l’éblouissant à l’invisible.

Deux étoiles géantes s’embrassent avant leur fin tragique

Source: F3CJ